Comme les copains de classe de ma fille, ce sont peut-être les premiers mots anglais que vous avez voulu apprendre ? Et pourtant, lorsque je résidais en Angleterre j’ai vite compris que parler en argot était plutôt mal vu, au même titre que de hausser le ton, de piquer une colère ou encore de pleurer en public. Alors comment faire pour exprimer ses émotions ? Certes, il y a le « self-control » (n’oublions pas le légendaire flegme britannique !) mais aussi, comme nous allons le voir, une multitude d’expressions de remplacement à utiliser pour ne plus choquer personne.

Pour commencer, en anglais le langage grossier est qualifié de strong ou colourful, mais aussi de bad ou foul (to be foul-mouthed comme si on avait une mauvaise haleine !). Un « gros mot » se définit comme rude or offensive, de même qu’un manque de savoir-vivre ou de bonnes manières. On dit aussi : « to swear like a trooper » (les soldats de cavalerie). A noter : to swear in veut dire prêter serment. Ainsi, le Président des Etats-Unis est « sworn in » avant de commencer son mandat, et « swears on the bible » en signe d’honnêteté et de sincérité.

« Couvrez ce mot que je ne saurais voir »

Pour reprendre la formule de Tartuffe sous la plume de Molière, certains mots sont devenus tabous à cause de la religion. En effet, dans la tradition judéo-chrétienne, le « profane » (du latin profanus, « hors du temple ») intervient lorsqu’on utilise des mots hors de leur contexte sacré. Ainsi, au Moyen-Age les promesses faites à Dieu sont devenues « profanes » dès lors qu’elles étaient prononcées à tort et à travers, sans aucune sincérité. À l’époque pour jurer on utilisait les attributs de Dieu : son sang, ses plaies, sa mort… ainsi que les parties de son corps : God’s foot, eyes, heart, arms, nails, body, sides, guts, et même tongue ! Mais les mots « holy », « hell » ou « Jesus Christ » étaient interdits.

Lots of speech bubbles with exclamation marks and other symbols in to represent expletives

Avec le Protestantisme, le commandement « tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain » doit être suivi à la lettre. Utiliser le nom de Dieu « avec moquerie ou profanité » est donc interdit dans les pièces de théâtre. Jurer devient alors un « péché détestable » selon la loi au XVIIème siècle en Grande Bretagne. Pour les Puritains le « blasphème », défini comme a cursing of God by atheism or the like est interdit sous peine de mort, au même titre que l’état d’ivresse en public, les jeux d’argent, les tenues ostentatoires ou encore le non-respect du sabbat.

« Mâcher ses mots »

Swearing emoji

Du coup, les Anglais sont devenus experts dans l’usage de l’euphémisme, et au fil des siècles les jurons ont perduré sous une forme atténuée, jugée plus acceptable en public. On appelle ces mots des minced oaths, de l’expression «mincing your words», dans le sens « d’éviter d’être trop direct », par souci d’élégance, puis de politesse. Dans une certaine mesure, c’est encore le cas aujourd’hui dans la société britannique ! On pourrait d’ailleurs classer les mots à éviter en deux catégories, contenues dans l’expression f-ing and bliming, synonyme de swearing : the « F-word » est un mot d’argot, alors que « blimey », raccourci de « Cor blimey » est venue remplacer « God blind me » pour ne pas employer le mot « God ». 

 J’ai découvert ces formules au fil des années et puisque tout le monde les utilise, j’ai fini par en adopter certaines moi aussi. Amusantes ou intrigantes, je les trouve intéressantes d’un point de vue linguistique. En effet, les Anglais aiment bien jouer avec leur langue et ils semblent toujours prêts à en inventer de nouvelles ! Vous trouverez une liste exhaustive de toutes les expressions de remplacement sur ce site !

Cartoon exclamation OMG!!

D’abord, le mot interdit est réduit à sa première lettre et devient sous-entendu, comme dans « What the F… ?!! », mais aussi « That’s complete BS! » au lieu de bullsh*t et OMG pour « Oh my God ». Pour remplacer cette dernière, on dit aussi Oh dearee me, ou my goodness, My goodness me et même Goodness gracious (me) qui est une belle allitération ! Enfin, on entend encore Good heavens! alors que Heavens! ou Heavens above! sont plutôt désuètes. 

Autrement, on peut utiliser mots déjà existants comme fudge, flip et freak dans What the flip/freak, ou encore la variante What the Dickens? Sinon, ce sont des mots inventés qui gardent la même sonorité comme Gosh, Golly et même My Golly Gosh. F*king se change ainsi en Frigging ou encore Flipping, ce qui a donné Flippin’eck. (Que j’avais d’ailleurs comprise « flippy neck » car le h n’est pas aspiré !) Heck vient remplacer hell, comme dans what the heck?! Quant à bloody, il est remplacé par blooming ou bleeding, jugé moins offensant.

J’ai aussi entendu Gordon Bennett! et d’après mes recherches, il s’agirait d’un certain Gordon Bennett Jr, fils du fondateur du New York Herald. Grand sportif, cet Américain a mené une vie extravagante qui a tellement défrayé la chronique de l’époque que son nom est devenu synonyme d’étonnement ! (Le fait que son prénom commence par « GO » y est aussi certainement pour quelque chose !)

Pour continuer dans l’humour, on trouve « Oh my Giddy Aunt! » (Littéralement « Oh ma tante étourdie !») Cette formule est d’ailleurs apparue pour la première fois dans une comédie en 1892. Elle est devenue populaire chez les femmes, qui l’exclamaient en « agrippant leurs colliers de perles » et en souriant !

Sinon, il y a aussi « Good grief! » qui littéralement veut dire « bon deuil », mais cela exprime plutôt la déception et probablement aussi de la résignation chez Charlie Brown, l’ami de Snoopy dans les Peanuts, puisque c’est sa petite phrase attitrée.

Charlie Brown saying Good Grief

Enfin, pour exprimer la frustration ou l’exaspération il y a « For God’s sake! » qui est changée en For heavens’ sake ; For goodness’s sake, ou encore For pity’s sake! Celle-ci s’est ensuite contractée en For Pete’s sake, qui n’a pourtant aucun rapport avec le prénom ! Quant à For Christ’s sake, elle est souvent remplacée par For crying out loud! Et d’ailleurs, on dit Crumbs ou Crikey au lieu de Christ! alors que « Jesus » est remplacé par Geez, Jeepers ou encore Jiminy Cricket, vous savez : l’ami de Pinocchio dans le fim de Disney !

Quand j’étais petite, j’ai découvert l’exclamation « Damned !» en lisant des BD mais sans vraiment en comprendre le sens. En fait, c’est le raccourci de « I’ll be damned! » (prononcé /da:md/) qui exprime la surprise, alors que God damn it! exprime plutôt la colère, faisant référence à une punition éternelle en enfer. Du coup, logiquement on leur préfère I’ll be darned et darn you/it, sachant que « to darn » veut dire « repriser une chaussette » ! Quant au mot damnation est aussi parfois remplacé par tarnation dans « What in tarnation?! »

Enfin, le mot d’argot que tout le monde connait : s*t est souvent remplacé par shoot, sugar, ou encore crap. On parle aussi du « S word » ou du « four-letter word » en particulier devant les enfants, comme si le son « sh » à lui seul était devenu mal poli ! Peut-être que comme l’a remarqué Eugène Scribe, dramaturge du XVIIIème siècle, « la censure oblige souvent à avoir de l’esprit. » En tout cas, ça demande de la créativité, en particulier dans les films pour enfants ! Il y a par exemple « Shiver me timbers! » une exclamation typiquement utilisée dans les films de pirates. Mais aussi, « Sugar-Honey-Ice-Tea! » inventée pour le film Madagascar. Enfin, j’ai aussi relevé « Butter me crumpet! » et « Flippin’ Nora! » dans le film récent de Wallace and Gromit: Vengeance most fowl, pour n’en citer que quelques-uns !

A pirate looking out to sea from his ship
The front cover of an old version of the dramatic works of William Shakespeare

 

En fait déjà en 1819, un médecin britannique nommé Thomas Bowdler avait publié une version expurgée des œuvres de Shakespeare, appelée « The Family Shakespeare ». Son objectif n’était pas de rajouter au texte original, mais plutôt d’enlever “those words and expressions (…) which cannot with propriety be read aloud in a Family.” Dans un sens, cela a permis aux femmes et aux enfants de l’époque victorienne de découvrir ces textes « without incurring the danger of being hurt with any indelicacy of expression », comme il l’explique dans sa préface. D’où le terme bowdlerized, qui signifie « transformé par la censure » et qui a pris un sens plutôt négatif aujourd’hui.

Le Bureau de la Communication

 Toutefois, au-delà des convenances ou de la politesse, c’est surtout dans le but de protéger la jeunesse qu’on évite encore aujourd’hui de prononcer ces mots au Royaume Uni. Il existe d’ailleurs the Office of Communication (ou Ofcom), un organisme gouvernemental chargé de réguler l’ensemble des médias « dans l’intérêt des consommateurs et des citoyens ». J’en veux pour preuve le rapport sur le langage de 2021, dans lequel 186 mots ont été classés par le public grâce à des sondages en 3 catégories : mild, moderate ou strong (définie comme « perceived as highly offensive »). Ainsi en page 7, on peut lire que le mot f*kshould not be aired before the watershed on television or, on radio, at times when children are particularly likely to be listening in order to protect children.

C’est pourquoi il n’est pas rare qu’aux heures de grande écoute (c’est-à-dire avant 21h, le fameux watershed), f*king soit remplacé par flying dans les chansons à la radio et que d’autres mots jugés inappropriate soient couverts par un « beep » en direct à la télé. Sinon, certains n’hésitent pas non plus à se plaindre auprès de Ofcom en cas de manquement à la règle. Par exemple en avril 2024 une animatrice télé de l’émission The Great British Bake Off (l’équivalent du Meilleur Pâtissier), a choqué des téléspectateurs qui l’aurait entendu dire « get your sh*t together! » à l’antenne, même si en fait elle avait dit « stick it together ». Suivant le même principe, la Fédération Internationale de l’Automobile a indiqué fin janvier 2025 qu’afin d’attirer un public plus jeune, les pilotes de Formule 1 pourraient encourir des amendes allant jusqu’à £152 000 s’ils utilisent un langage (écrit ou verbal) qui serait « offensive, insulting, coarse, rude or abusive and might reasonably be expected or be perceived to be coarse or rude or to cause offense, humiliation or to be inappropriate. » Par conséquent, le problème outre-Manche n’est pas tant de laisser échapper un gros mot sous l’effet de l’émotion, mais plutôt de les employer délibérément dans le but apparent (ou perçu comme tel) de choquer ou d’insulter. En d’autres termes, « to cause either alarm or distress to any other person in any public place », selon l’ordre de protection des lieux publics d’août 2024, sous peine d’une amende de £100. Vous avez bien lu : dans certaines villes côtières du Kent, des endroits plutôt touristiques, le langage grossier est considéré comme une menace à l’ordre public !

Pour conclure, saviez-vous qu’avant de dire une grossièreté, les Britanniques disent « Pardon my French! » ? Certes, comme l’explique cet article, historiquement c’est parce que sous le règne de Guillaume le Conquérant il était devenu courant d’employer des mots français au milieu d’une conversation. De là à les considérer comme de l’argot, il n’a qu’un pas… Du coup, on comprend pourquoi nous autres Français avons une fâcheuse tendance à choquer nos voisins outre-Manche ! Et vous, qu’en pensez-vous ? N’hésitez pas à réagir dans les commentaires !